Le coup de Trafalgar

5Mai/17Off

Guernika

A l’occasion du 80e anniversaire de cette œuvre majeure qu’est Guernica – sans aucun doute le tableau le plus universel du siècle passé –, il est aisé de vérifier que l’attrait pour ce symbole de la dénonciation des monstruosités de la guerre a conservé toute sa force. Il suffit pour s’en convaincre de se rendre aux portes du musée Reina Sofia, à côté de la gare madrilène d’Atocha, où on se bouscule pour voir le célébrissime tableau de Pablo Picasso qui représente l’effroi après le bombardement par les nazis sur cette petite ville basque, le 26 avril 1937. Ouverte depuis le 3 avril – elle durera jusqu’au 4 septembre –, l’exposition Pitié et terreur chez Picasso, le chemin vers Guernica enregistre des records d’affluence. Dès la première semaine, 47 000 visiteurs ont été enregistrés, soit environ 8 000 par jour ; si ce rythme se poursuit jusqu’à son terme, l’exposition pourrait fort bien dépasser en popularité la rétrospective Salvador Dalí de 2013. Cette ruée s’inscrit dans un cadre plus large. Le pays est submergé de commémorations liées au Guernica du génial peintre andalou : expositions dans d’autres musées de renom, débats publics et télévisés, colloques, conférences didactiques pour comprendre le processus créatif qui a présidé au tableau… Au milieu de cette profusion d’initiatives, l’événement qui a lieu au sein du musée Reina Sofia est toutefois le clou de ces célébrations en hommage à Pablo Picasso, l’artiste le plus vénéré du pays avec Vélazquez et Goya. Tout d’abord parce que l’événement est surtout artistique : outre le gigantesque tableau lui-même (3,5 sur 7,7 mètres) et la cinquantaine d’études préliminaires, figurent 180 œuvres signées par l’artiste et prêtées, de manière exceptionnelle, par la Tate Gallery londonienne, le centre Pompidou parisien, le MoMA new-yorkais et bien d’autres. Ensuite, parce que sa répercussion est contemporaine. «Alors même que les bruits de botte se font entendre, ce tableau dénonce avec puissance les abominations que suppose tout conflit belliqueux», souligne l’américaine Anne Wagner, l’une des deux commissaires de l’exposition. En Espagne, cette toile, a dès l’origine, été perçue comme une œuvre symbolique : l’emblème de la résistance contre le fascisme ou contre toute forme de dictature. En janvier 1937, le dirigeant républicain espagnol Largo Caballero commandait à Pablo Picasso un tableau qui permette de prendre la mesure de la calamité qui s’était abattue, neuf mois plus tôt, sur la ville basque de «Gernika». Objectif : en faire l’œuvre phare du pavillon espagnol de l’exposition universelle prévue un peu plus tard à Paris. Dans un premier temps, Picasso hésite, puis, informé de la dimension tragique du bombardement réalisé par la légion Condor (de l’Allemagne nazie) – et par l’aviation fasciste italienne –, accepte de se mettre au travail. Et de se lancer dans une entreprise herculéenne. «Ce qui a convaincu Pablo Picasso, souligne le directeur du musée Reina Sofia, Manuel Borja-Villel, c’est de constater à quel point ce massacre a été inspiré par une cruauté sans nom. Picasso a souhaité par son œuvre porter un témoignage personnel.» De fait, soutenus par le régime franquiste, forts d’une soixantaine d’avions de guerre, les agresseurs font de la bourgade basque un «laboratoire de terreur», avec à l’horizon la Seconde Guerre mondiale. A dessein, ils choisissent Gernika, bourgade de Biscaye, ville ouverte, sans défense aérienne, sans avion ennemi, une proie de rêve. A l’arrivée, ce jour de marché, c’est l’abomination : 85% des édifices détruits, 2 000 morts, un décor cauchemardesque, un crime de guerre majuscule. «Avec ce tableau, Picasso signe son premier acte pleinement politique», affirme le critique Eusebio Lázaro. Curieusement, comme le rappelle l’historien Javier Irujo, le tableau fut reçu avec indifférence par le public, avec aversion par la critique, lors de l’exposition universelle parisienne de 1937 : «On le voyait comme antisocial, ridicule, repoussant.»

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